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Tour de la Terreur : une histoire avec une bonne chute.
Dans un précédent dossier, Laurent Cayuela nous parlait de son métier d'Imagineer à Disneyland Paris. Show Writer, ou concepteur écrivain, il adapte les histoires mises en scène dans les attractions et dans les allées des Parcs pour les visiteurs de toute l'Europe. Pour comprendre en quoi consiste l'art de raconter des histoires dans les parcs Disney, Laurent Cayuela a tenu à nous raconter celle de La Tour de la Terreur aux Walt Disney Studios. Objets d'époque, ambiance lumineuse et sonore, références historiques participent à l'immersion du visiteur dans l'histoire peu banale de cette attraction. Revue de détails avec notre hôte du jour.

En approchant la Tour.


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« Par une nuit d'orage il y a fort longtemps, cinq personnes passèrent les portes d'un ascenseur pour vivre un cauchemar. L'orage est maintenant de retour et les portes s'entrouvrent à nouveau. Mais cette fois-ci, elles s'ouvrent pour vous ! ». Ces mots sentencieux résonnent comme un ultime avertissement dans la sombre et froide cabine d'ascenseur métallique d'un hôtel délabré. Mais voilà : vous et vos compagnons d'infortunes êtes assis à l'intérieur, impuissants, dans l'attente d'une issue que tout le monde semble déjà connaître et redouter avec délice. Soudain, le couperet tombe. Avant même que votre sang n'ait été glacé, vous êtes entraîné dans une chute inexorable de 13 malheureux étages. On crie, on hurle, on rit ... bref, on se fait peur.


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On vous avait pourtant prévenu que ce scénario avait une bonne chute. Mais avant d'en arriver là, vous aurez été immergé dans l'ambiance de cette Tour à deux visages : à la fois belle et terrifiante. Belle, parce qu'elle représente tout le charme et le luxe d'un hôtel d'Hollywood des années 30. Terrifiante, parce que tous ses occupants ont mystérieusement disparu le soir du 31 octobre 1939.

La Tour s'élève au coeur d'un nouveau quartier aux façades ocres et chatoyantes. Son architecture est typique de l'art Pueblo Deco, très en vogue dans les années 20 lors de la construction de l'hôtel. Laurent Cayuela, notre guide du jour, nous explique : « Ce quartier n'existe pas dans la version californienne de la Tour de la Terreur, puisque les Américains sont déjà familiers avec ce type d'architecture. En Europe, nous avons souhaité apporter une touche d'exotisme en créant ce quartier introductif qui fait écho à la Californie. »

Les détails rappelant cette région multiculturelle sont omniprésents : par exemple, un imposant foyer de cheminée se dresse à l'arrière d'une des bâtisses. « En Californie, il est très tendance d'avoir de telles cheminées chez soi autour desquelles on organise des fêtes privées. Egalement, des braseros mexicains donnent leur forme aux jardinières au pied des arbres. »

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Nous voici aux portes de l'hôtel.« C'est le long de cette grande rue longeant les grilles de l'hôtel qu'arrivaient les clients en voiture. Les chauffeurs déposaient ensuite les bagages quelques mètres plus loin à la station de trolleys. Les valises étaient stockées- là avant d'être amenées dans les chambres par le personnel de service. Aujourd'hui, cette station nous sert à abriter et à habiller le système de billetterie Fast-Pass.»



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Des cris déchirent l'ambiance froide et paisible des jardins qui embrassent l'hôtel. Fontaines asséchées, murets fissurés, et maigres arbres témoignent de la splendeur envolée de cet établissement. Ces jardins ont par hasard servi à raconter une nouvelle histoire dont Laurent Cayuela a le secret. « La Tour de la Terreur à Disneyland Paris possède un détail que les autres versions des Tours n'ont pas. Pour des raisons techniques, nous avons du créer un nouveau petit local sur les bords du bâtiment. Mais il fallait le camoufler en l'habillant, avec ce souci constant de l'intégrer à l'histoire. C'est ainsi qu'un jardinier tout à fait imaginaire est venu planté sa cabane dans les jardins de l'hôtel pour y abriter ses outils !» 


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L'art Pueblo Deco qui orne les façades de la Tour de la Terreur emprunte quelques-unes des caractéristiques de l'art indien du sud-ouest des Etats-Unis telles que des motifs circulaires évoquant les rayons du soleil, des formes en pointes de flèche ainsi que des figures simplifiées d'oiseaux-tonnerre.

Des grooms gardent les grilles de la bâtisse. Fidèles à leur travail, ils reviennent hanter les couloirs de l'hôtel 70 ans après les dramatiques événements. Les vitres du hall d'accueil laissent échapper une douce lumière : nous nous y aventurons.


« Une réservation a été faite en notre nom »



Nous pénétrons au sein du lobby de l'hôtel. Lumière chaude et tamisée. Un air jazzy typique des années 30 semble s'échapper d'un gramophone inexistant. Il résonne de façon nostalgique dans un hall aux détails poussiéreux : une partie de cartes dépliée sur une table, du courrier en attente d'être lu à la réception, une carte postale inachevée, des valises oubliées ; l'hôtel semble avoir été soudainement déserté. Le temps s'est arrêté.
« Toutes les montres et horloges présentes dans la Tour de la Terreur ont leurs aiguilles arrêtées sur 8h06 précisément. C'est l'heure à laquelle le terrible événement a eu lieu. »

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Et justement. La tragédie s'écrit petit à petit dans la file d'attente. Une fois le comptoir d'enregistrement franchi, les regards se posent sur une porte d'ascenseur défoncée. Une cabine d'ascenseur paraît ne pas s'être arrêtée au rez-de-chaussée, mais un peu plus bas ... « Ici, vous vous situez face à l'épicentre de l'événement  nous précise Laurent Cayuela. Les fissures partent de ces portes et envahissent tout le hall de droite à gauche lorsque vous pénétrez dans l'hôtel. La lumière suit cette même logique : le hall est très éclairé à la fois par des sources lumineuses artificielles et par la lumière naturelle du jour. Mais au plus vous vous approchez de cet ascenseur, et des portes de la pièce suivante (la bibliothèque), au plus l'environnement se dégrade. Vous passez d'un hall d'accueil lumineux et aéré à un couloir peu éclairé et plus étroit. »

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« Les plafonds du hall d'accueil ont été réalisés à la main. L'attraction californienne, se situant dans une région où travaillent de multiples entreprises pour le cinéma, il était plus facile de trouver une société de décoration qui n'a fait que « poser » un plafond en morceaux. En France, ce genre de spécialité du bâtiment existe encore, nous avons donc pu profiter de ce savoir-faire artisanal pour cette version. ».

Les portes de la bibliothèque s'entrouvrent pour dévoiler une collection impressionnante d'objets et d'artefacts poussiéreux amassés par les propriétaires de l'hôtel. Aux murs, des étagères remplies de livres (plus de 4000). Et ce n'est pas par hasard si un groom annonce que nos chambres seront bientôt prêtes. « Les clients des grands hôtels avaient pour habitude de patienter dans un coin cosy en attendant les clés de leur chambre : là, ils pouvaient boire ou lire quelques lignes. C'était le lieu privilégié de toutes les discussions et de toutes les rencontres. La légende sur ces bibliothèques d'hôtel va même jusqu'à raconter qu'une célèbre actrice blonde platine y rencontrait souvent un président américain ! ». Mais ça, c'est une autre histoire. Avec un grand H cette fois-ci.

Dans un coup de tonnerre assourdissant, la lumière disparaît brusquement. Un téléviseur hors d'âge s'allume pour diffuser le générique d'une série télévisée dont les quelques notes de l'air musical sont familières : la Quatrième Dimension. Presque inconnue en France, cette série diffusée aux USA entre 1959 et 1964 est une anthologie d'histoires fantastiques dont le but était, comme le disait son créateur Rod Serling, « de frapper le téléspectateur, de le choquer par la chute toujours inattendue, surprenante et singulière de chacune de ces histoires ».

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A l'écran, Rod Serling nous introduit l' « épisode de ce soir » comme à l'époque de sa diffusion. « L'acteur n'étant plus vivant, nous avons incrusté son image extraite d'une de ses séries dans un décor représentant notre hôtel. Les voix françaises et anglaises utilisées pour son doublage ont été approuvées par la veuve de Rod Serling. » nous précise Laurent Cayuela.

Ce soir, c'est un épisode « perdu » qui est diffusé. Spécialement crée pour l'attraction, il relate les faits bien étranges qui se sont produits dans l'hôtel, la nuit du 31 octobre 1939. Cette nuit-là, les portes de l'ascenseur se sont refermées pour la dernière fois. A bord, deux stars hollywoodiennes, un groom, une enfant-star et sa gouvernante. Alors que le monte-charge poursuivait son ascension, un éclair a frappé l'hôtel, condamnant les cinq passagers terrifiés à un sombre destin.

Des détails vous immergent peu à peu dans l'épisode que vous êtes sur le point de revivre. Un détail visuel tout d'abord : une des fenêtres de la bibliothèque s'illumine en même temps que les éclairs apparaissent à l'écran. Et un détail sonore : le bruit du tonnerre qui résonne dans la série est amplifié dans la pièce. « Les visiteurs deviennent des personnages de la Quatrième Dimension ! »

« Cette introduction existe en anglais et en français. La version diffusée est fonction de la nationalité majoritairement présente ce jour-là sur le parc, donnée fournie par les statistiques des réservations hôtelières : les Italiens et les Espagnols comprendront mieux la version latine, à savoir en français, que la version anglaise, plus adaptée au public allemand ou venant des régions du Nord de l'Europe. »

Une porte dérobée s'ouvre au fond de la pièce. Elle mène à la chaufferie de l'hôtel, en sous-sol. Ici aussi, tout semble avoir été déserté précipitamment : l'horloge de la pointeuse est arrêtée à 8h06, des photos et effets personnels des employés trônent sur le bureau de la maintenance. Des verres, des pipes, des étuis à cigarettes, des calendriers et des vieux magazines des années 30 recréent l'ambiance de cette époque révolue.

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L'atmosphère est lourde et pesante. Un bruit sourd de machinerie vrombit. Une lumière bleutée tombe du plafond et s'entremêle aux lueurs rougeoyantes des machines rouillées et poussiéreuses. « Le bruit qui règne dans cette pièce est indéfini. L'ambiance lumineuse change de façon cyclique et aléatoire. Tout est fait pour déstabiliser le visiteur avant qu'il ne s'assoit dans l'ascenseur. »


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Votre cabine est avancée. © S.Bourlet
L'instant fatidique approche. Un groom place les visiteurs par petits groupes sur un damier numéroté indiquant leur rang dans la cabine. Un subtil jeu de lumière permet d'attirer l'attention du visiteur sur le cadran à étages qui orne le haut de la porte de l'ascenseur : la flèche égrène les étages pour évoquer malicieusement le temps qu'il reste avant d'embarquer. Entre temps, le visiteur aura remarqué un panneau plus éclairé lui indiquant dans quel ordre se ranger dans la cabine.

« Dans toute cette mise en scène, nous faisons attention à ce que les messages de sécurité subsistent et soient compris comme tels par nos visiteurs. C'est le rôle de notre service « Safety » que de contrôler la cohérence des messages dans leur environnement, et leur traduction dans les langues officielles de l'attraction. Il serait malvenu qu'un visiteur pense que d'attacher sa ceinture dans la cabine soit juste « pour de faux » ! »

La flèche du cadran pointe maintenant l'étage « B» : comprendre Basement, ou rez-de-chaussée en américain. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur un groom qui invite les visiteurs à embarquer. Place prise, et ceinture bouclée, votre hôte vous souhaite un bon séjour à l'Hollywood Terror Hotel.

Les portes de l'ascenseur se referment tels des rideaux de théâtre. Le dernier acte de la visite peut commencer... bienvenue dans la Quatrième Dimension !

La Quatrième Dimension en long, en large et en travers.



Les références à cette série culte parsèment les pièces de l'Hollywood Tower Hotel. Toutefois, la version parisienne de la Tour de la Terreur ne se situant pas aux Etats-Unis, il a fallu adapter les clins d'oeil. En sa qualité de Show Writer, le travail de Laurent Cayuela a consisté à s'assurer que seuls soient évoqués les épisodes de la saison 1 et 2 de la IV° dimension, " les seuls diffusés en France avant l'émission Temps X présentée par les frères Bogdanov" nous précise-t-il. "Les autres saisons n'ont jamais été diffusées car les épisodes, plus longs, ne coïncidaient plus avec le format de l'émission."

Voici quelques unes des références dissimulées dans la Tour. Il y en a beaucoup d'autres, à vous d'avoir l'oeil.

La Chambre 22. (Episode "22")
Dans le hall d'accueil de l'hôtel, tout au fond à droite derrière un tas de valises, se trouve la chambre numéro 22. L'épisode intitulé "22" se déroule en partie dans un hôpital. La chambre numéro 22 désigne en fait ... la chambre funéraire.

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Des lunettes cassées sur une des étagères de la bibliothèque. (Episode "Une Question de Temps")
Dans cet épisode, un modeste banquier ne rêve que de lecture. Protégé par le coffre-fort de la banque, il se retrouve seul survivant d'une explosion nucléaire : il peut désormais s'adonner à son passe-temps favori. Mais le malheureux casse ses lunettes...

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Une montre cassée dans une vitrine après la réception. . (Episode "Une curieuse montre")
Le héros de cet épisode se voit offrir une montre capable d'arrêter le temps. Très vite, il se rend compte qu'il peut gagner beaucoup d'argent grâce à elle. Alors qu'il braque une banque, la montre tombe à terre et se brise, stoppant son environnement pour toujours, sauf le braqueur. Il se retrouve seul au monde, sans personne à qui parler dans un monde immobile.



Un petit cosmonaute sur les étagères de la bibliothèque. (Episode "Les Envahisseurs")
Deux petits extra-terrestres atterrissent dans un endroit reculé, loin de tout modernisme. Ils traquent l'habitante des lieux, qui finit par en tuer un, et démolir la soucoupe volante à coup de haches. L'intrigue révèle qu'il s'agit en fait d'une expérience menée par l'armée américaine.

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Les traces de craie sur les murs de la chaufferie. (Episode "La petite fille perdue")
Ces marques représentent le passage vers une Quatrième Dimension dans laquelle serait tombée une petite fille. Tendez l'oreille à proximité du mur, vous l'entendrez appeler à l'aide.


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Une affiche du Anthony Fremont Orchestra à la sortie de l'attraction.(Episode "C'est une belle vie")
Anthony Fremont est le nom d'un petit garçon doté d'un puissant pouvoir mental qui terrorise les habitants d'une petite ville dans l'Ohio. Il peut contrôler l'électricité, les retransmissions télévisuelles, les voitures, et même la météo.


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La citation "Picture if you will" (Imaginez si vous le voulez-bien) inscrite au-dessus du stand-photo.
Ces mots font référence à la célèbre phrase d'introduction prononcée avant chaque épisode par le créateur de la série, Rod Serling.



Remerciements à Marion Coroyer.
The Twilight Zone (C) CBS




Dossier et propos recueillis par
Simon Bourlet


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